L’usufruitier : un non-associé exerçant des prérogatives inhérentes à la qualité d’associé.
Dans un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 11 juillet 2024 (Civ. 3ème, 11 juill. 2024, n°23-10.013), la Haute juridiction reconnaît à l’usufruitier le droit de contester les décisions susceptibles d’affecter directement son propre droit, contribuant ainsi à réduire la portée pratique de l’affirmation selon laquelle l’usufruitier de parts sociales n’a pas la qualité d’associé.
Dans cette affaire, les parts d’une société civile immobilière étaient détenues pour partie en pleine propriété. Plusieurs délibérations étaient intervenues, visant à augmenter le capital social et à modifier les statuts de la société. Certains usufruitiers avaient alors requis l’annulation de l’augmentation du nombre de parts sociales issue de l’augmentation du capital social et, se fondant sur l’abus de majorité, de toutes les décisions et ou consultations écrites postérieures votées avec les majorités nouvelles issues de l’augmentation de capital.
Pour déclarer leur action irrecevable, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence s’était alors appuyée sur les dispositions statutaires de la SCI, énonçant que « les usufruitiers sont irrecevables à contester toute décision collective quelle que soit sa forme, à la seule exception des décisions collectives portant sur l’affectation des résultats ». Les décisions contestées par les usufruitiers ne portant pas sur l’affectation des résultats, il n’y avait pas lieu de rechercher si ces décisions étaient susceptibles d’avoir une incidence indirecte sur leur droit de jouissance.
L’affaire est portée devant la Cour de cassation, laquelle reconnaît à l’usufruitier le droit de contester les décisions susceptibles d’affecter directement son propre droit. Au terme de l’arrêt précité et s’appuyant sur les articles 578 du Code civil (« l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance »), 31 du Code de procédure civile (« l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention »), elle censure l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Si les statuts peuvent réserver le droit de vote aux associés sur les questions autres que celles relatives à l’affectation des bénéfices, ils ne peuvent « priver l’usufruitier de parts sociales du droit de contester une délibération collective susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance ». Dès lors, la Cour d’appel ne pouvait s’appuyer sur la clause des statuts privant l’usufruitier de ce droit de contestation sans considérer les conséquences de la décision sur son droit de jouissance.
Bien que l’usufruitier n’ait pas la qualité d’associé, il est possible pour lui d’exercer certaines prérogatives attachées à la qualité d’associé. L’arrêt dont il est question aujourd’hui s’inscrit dans le sillon d’un arrêt du 1er décembre 2021 (Cass. Com., 1er décembre 2021, n° 20-15.164) et d’un arrêt du 16 février 2022 (Cass. 3ème civ., 16 février 2022, n° 20-15.164) qui reconnaissaient à l’usufruitier le pouvoir de provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. Désormais, outre le droit de provoquer une délibération susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance, l’usufruitier peut demander l’annulation d’une décision susceptible d’avoir un tel effet. Le critère retenu par la Cour de cassation (l’incidence directe sur le droit de jouissance de l’usufruitier), n’enferme donc pas l’usufruitier dans l’exercice d’un droit qui ne se limiterait qu’aux seules décisions pour lesquelles ce dernier s’est vu reconnaître le droit de vote. De plus, il ne peut être fait obstacle à l’usufruitier de son droit de contester toute décision par une disposition statutaire car parmi ces décisions, certaines pourraient avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. En présence d’une telle stipulation, l’usufruitier conserverait malgré tout le droit d’agir.
Sans qu’il soit reconnu à l’usufruitier la qualité d’associé, nous pouvons craindre une certaine instabilité dans l’attente d’une identification claire du périmètre des décisions susceptibles d’avoir une incidence directe sur le droit de jouissance de l’usufruitier. Toutefois, sans être en mesure de dresser la liste exacte des prérogatives attachées à la qualité d’associé et reconnues à l’usufruitier, la question de l’appréciation de l’atteinte directe portée au droit de jouissance de l’usufruitier restera entière.
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